En ces temps sombres, un mot me revient sans cesse à l’esprit, un mot ou du moins un concept japonais : Zanshin.
Ce mot, que je vais vous traduire très succinctement par vigilance, est bien sûr d’actualité, tant la période sanitaire et sécuritaire actuelle est compliquée.
Les instances gouvernementales nous demandent d’être vigilants face à la pandémie et ont mis en place le plan Vigi-Pirate pour les évènements dramatiques que nous avons de nouveau vécus dans notre ville de Nice.
Sans vouloir rentrer dans quelconques débats ou polémiques, il est curieux de voir que le mot français vient du latin vigilantia, « habitude de veiller » et « surveiller attentivement » ; il sous-entend qu’un veilleur veille sur (sur-veiller) un groupe ou un village qui dort ou qui est confiné. Nous aurions besoin d’une sentinelle pour nous couvrir, d'un protecteur à notre société.
Je voulais vous parler d’une autre façon de voir le mot vigilance en l’abordant du point des budo japonais et de la culture nippone.
Zanshin.
Puisque je vous ai relaté l’étymologie latine du mot Vigilance, permettez moi de vous décortiquer très rapidement le kanji (idéogramme japonais et chinois) Zanshin :
残心
Dans cet idéogramme, nous retrouvons une partie d’un autre idéogramme, le kanji Bu
武
Vous connaissez tous cet idéogramme que l'on retrouve dans Budo : la voie de la guerre (mal traduit par art martial) ; Bushido : la voie des guerriers samouraïs.
Ce qui est intéressant là-encore, c’est qu’en démembrant ce kanji Bu, nous avons deux parties que l’on traduit par « Arrêter la lance », stopper l’arme de l’ennemi.
Donc, si vous me suivez bien (et ce n’est pas simple), Zanshin et Budo sont reliés par leurs idéogrammes dans la notion « d’arrêter le conflit ».
Revenons donc à Zanshin.
Dans les arts martiaux, nous avons trois étapes : avant, pendant et après le combat.
Zanshin est communément une notion de ce qu’il se passe juste après le combat. Elle est la vigilance juste après la tempête. Nous connaissons ce concept dans la citation « ne pas baisser sa garde ».
Zanshin est à la fois une posture, une concentration, une intention que l’on peut remarquer dans les budo traditionnels, kendo, iaido, aikido, kyudo.
C’est la capacité d’être prêt à relancer le combat si quoi que ce soit arrive, l’ennemi qui se relève ou d’autres qui réapparaissent…
Bien souvent, la manifestation de Zanshin peut se traduire visuellement par la reprise de la garde après la confrontation. Cette garde est l’addition d’une posture (corps) et d’un mental (esprit), le tout forgé grâce à la pratique du budo.
Zanshin est ce qu’il reste après un combat, après une situation où nous avons tout donné, « Être ou ne pas être… » nous disait Shakspeare. Notez que Shake Spear signifie « la lance qui tremble »… Coincidence.
Zanshin nous demande de garder l’intensité de notre intention sur l’autre ou sur les autres, mais aussi sur soi.
En poussant le concept encore plus loin, Zanshin nous apprend à garder l’intensité du moment, de garder la vibration intacte pour la prolonger encore, un peu plus.
Zanshin s’applique également aux arts, au théâtre et à la voie du thé, le Chado. Après la cérémonie du thé, il faut continuer d’accompagner, par le cœur et l’intention, les invités qui sont partis, il faut ranger les ustensiles avec la même intensité, la même sincérité qu’en présence des invités…
Zanshin demande donc de garder la vigilance, l’attention et l’intention.
Si l’attention pourrait être dirigé vers l’extérieur, l’intention est dirigé vers l’intérieur, notre verticalité et notre cœur. C’est Kokoro Nokori, le cœur résiduel, ce qui reste après que les invités soient partis ou alors que le combat ait été résolu…
Or Zanshin est en relation avec Kokoro… le cœur en japonais. Attention, pas l’organe, mais les sentiments. Kokoro est le deuxième kanji de Zanshin 残心
C'est parce que Zanshin est relié à Kokoro que Zanshin est un état général qui nous permet de rester attentif, à l’écoute. C’est l’attention du cœur, ou être au cœur de l’attention portée…
Zanshin, c’est être vigilant sans adopter de posture, dans le sens péjoratif du terme, sans faux-semblants. Il doit se faire sans effort, naturellement au fur et à mesure du travail accompli sur soi. Cette attention doit se traduire dans nos gestes, dans tous les instants de notre existence, là encore avec notre cœur.
Zanshin doit nous permettre une disponibilité dans le geste et dans l’esprit, afin de répondre aux aléas de la vie, aux belles et moins heureuses choses qui nous arrivent.
Zanshin est le coq, celui qui veille sur la basse-cour et qui nous signale dès que les premiers rayons de soleils poignent à l’horizon.
« Le Coq symbolise la force et le courage. Ces vertus sont nécessaires pour affronter et surmonter les épreuves de la voie initiatique. […] Le chant du coq annonce avec certitude le jour naissant, l’avènement de la lumière qui est rassurant pour le récipiendaire qui seul dans sa nuit, conserve l’espérance. »
Alors soyons vigilants avec le cœur.
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